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Le boulanger

« J’ai trop la dalle, il faut qu’on trouve quelque chose d’ouvert.
- Il n’y aura rien d’ouvert encore à cette heure-ci. Tu vas aller dormir, ça va te caler l’estomac, allez, en route.
- Si, je sais où aller, y’a Manu qui bosse pas loin.
- Manu ? C’est qui Manu ?
- C’est l’apprenti de la boulangerie rue des orangers. Je passe souvent le matin de bonne heure, je l’ai toujours vu travailler seul dans le fournil. On discute et il me donne des croissants et des pains au chocolat.
- Rue des orangers ? Ça fait un sacré détour.
- Pas grave, continue tout seul, moi j’y vais, j’ai trop faim.
- Non, non, je t’accompagne, ce n’est pas mon genre de laisser tomber un pote, hein ? »

Raté ! Mais, bon, ce ne sera que partie remise. Déjà ça va me faire gagner un peu de temps et je vais enfin pouvoir avaler quelque chose. Au passage, je jette un œil vers l’épicerie de la place Jules César ; en vain, ils ont compris maintenant, ils se font livrer le lait à l’intérieur.
La boulangerie fait un angle avec un petit chemin caillouteux où se trouve le soupirail. Le morceau de vitre qui le recouvre est cassé, c’est par là que nous pouvons parler et que le commis arrive à me passer ces viennoiseries qui sentent si bon, encore plus aujourd’hui que les autres jours. C'est un halo de chaleur qui m'envahit, cette délectable odeur pénètre en moi par tous mes muscles, s'installe dans tout mon être, me provoquant de délicieuses douleurs internes.

« Manu ! Eh, manu ! »
Manu ne m’entend pas, il continue son travail comme si rien n’était. Aucun bruit pourtant ne vient couvrir le son de ma voix. Seule la légère brise qui vient de se lever esquisse par intermittence un léger sifflement sur les brisures de la vitre. Je m’approche un peu plus du soupirail :
« Eh, Manu ! »
Mais manu ne bronche pas, Il ne manifeste aucun signe, pas même une hésitation si infime qu’elle soit de quelqu’un qui aurait entendu mais qui ne voudrait pas répondre. Il regarde sa montre, puis se tourne vers l’ouverture par laquelle je suis en train de l’appeler.
« Ah, Manu, dis-je le sourire au lèvres »
Mais manu détourne les yeux, regarde sa montre à nouveau furtivement puis se remet au travail.
« Il n’a pas envie de te parler, c’est évident, me dit Gérard qui assistait à la scène quelques pas plus loin, debout et les bras croisés, t'as l'air d'un con, là, comme ça ...
- Mais je ne comprends pas, ça ne lui ressemble pas, on dirait qu’il ne me voit pas, qu’il ne m’entend pas… Manu ?… Eh, réponds au moins, tu t’es fait engueuler par tes patrons? »
Manu continue son travail, je ne remarque aucune émotion sur son visage.
C’est la chaleur du fournil.

« Allez, ne traînons pas là, me dit Gérard »

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